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Passage du Temps
A l'origine de la réflexion philosophique serait l'étonnement. Le temps et son écoulement ont depuis l'Antiquité nourri divers paradoxes, ainsi Héraclite pour lequel il n est pas possible de se baigner deux fois dans le même fleuve ou Zénon d'Elée pour lequel il est impossible que la flèche atteigne sa cible, considérant la division infinie de la distance parcourir. En marge de ces préoccupations liées au temps, mais aussi l'identité et dont l'élucidation se trouve sans doute dans notre rapport à la représentation, Reiko Takizawa rejoint au quotidien cet étonnement philosophique. Le mouvement, le déplacement, le changement, relèvent d une expérience qui ne prête guère au questionnement tant ils sont partie intégrante de notre existence sauf peut- être à freiner notre propre agitation et à entrer dans une contemplation qui colore d'étrangeté le moindre déplacement d'air.
Regarder les autres, observer son environnement, percevoir des changements mais ne pas pouvoir saisir le moment précis de ces changements, cette impossibilité intrigue depuis longtemps cette artiste au parcours insolite. L existence de Reiko Takizawa se dessine par petites touches entrecroisées. Son attrait pour la langue française ou encore son admiration pour Ilya Prigogine et ses théories sur l incertitude ont présidé à ses nombreux voyages entre le Japon et la Belgique.
Après une escale l'Ecole des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence, l'artiste japonaise s'est
⟪déposée⟫Bruxelles, telle peut-être la feuille de papier qui choit au hasard des flux aériens.
Si du hasard il est question, le souci et l'intérêt de Reiko Takizawa se portent bien davantage sur le moteur caché des déplacements ou encore le spectacle du changement lui-même. En ce sens l'aquarelle a exercé sur l'artiste une fascination toute particulière. L'eau mélangée aux pigments offre effectivement le spectacle d'une expansion aléatoire dont on peut observer la lente progression. Son affection prononcée pour les graines végétales peut également se situer au regard de cette préoccupation pour l'évolution d un être même si dans ce cas il s'agit plutôt de l'anticipation d'une croissance qui se trouve en germe et qui elle aussi sera marquée par la contingence.
Dans ⟪Passage du temps⟫, la chute successive des feuilles, suivie de leur envol, rythment cette projection vidéo longue de deux heures. La répétition d'une même situation, avec un résultat chaque fois différent, manifeste la singularité de toute existence. A côté de ce visible, Reiko Takizawa vise plus précisément le jeu invisible de l'air qui participe aux déplacements de la feuille en suspension. Prises de vues en continu, fond noir et feuilles blanches, cette sobriété du dispositif concentre l'attention sur le mouvement des feuilles, sa perception, sa mémoire et sa vaine anticipation. Projetée par-dessous la passerelle de l'Iselp, sur une dalle en verre, ⟪passage du temps⟫ se double du passage à l'espace. La matière minérale laisse transparaître les images après avoir prélevé son tribut de lumière, rendant le propos de l'artiste plus troublant encore.
Kim Leroy
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